Le Sandwich à Feedback
Shelle Rose-Charvet
Jodi attend que Marco vienne la voir à son bureau. Aujourd’hui c’est le jour du feed-back et elle a la formule du sandwich à feedback ouverte sur son bureau.
Marco arrive et se laisse tomber lourdement dans la chaise en face de Jodi, se soumettant à contre-coeur à ce qui va se produire. «Je suis heureuse que vous soyez là » dit Jodi, démarrant la conversation sur une note optimiste. « Parlons de votre présentation d’hier à l’équipe. Vous étiez très enthousiaste à propos de la progression du projet, et j’ai également pensé cela…. » Jodi s’arrête en remarquant l’affaissement de Marco sur sa chaise, les yeux fixés vers le bas. « Qu’est-ce qui ne va pas ? » demande t-elle ? En soupirant fortement, Marco dit « devons-nous passer par cette connerie ? Dites-moi juste ce que j’ai fait d’incorrect et terminons en avec cela. »
Que s’est-il passé dans cette réunion censée mettre l’accent sur le positif ? Pourquoi Marco n’a-t-il pas même voulu entendre le feedback positif ?
Comme de nombreux managers le savent, un sandwich à feedback se compose d’une critique « prise en sandwich » entre deux commentaires positifs, par exemple:
- Faites un commentaire positif spécifique.
- Une critique et/ou une suggestion d’amélioration.
- Un commentaire globalement positif.
Le but est de donner ou recevoir une critique plus facilement. Mais voici le problème : les employés ne sont pas stupides. Après quelques exemples ou le chef lie la critique aux compliments, la formule devient facilement reconnaissable par toute personne l’ayant entendue plus d’une fois. Ainsi, chacun sait que tout éloge, sera suivi d’une critique.
Ceci a bien changé la signification de l’éloge. Il signifie maintenant que vous avez mal fait quelque chose. Ce n’est pas surprenant que Marco se soit assis tout craintif dans sa chaise, attendant que la hache tombe !
Les théories du management reconnaîssent depuis pas mal de temps que la création et le maintien d’un état émotif positif constituent des clés de la performance. Demandez à n’importe quel athlète. Demandez à toute personne ayant à faire une présentation. Interrogez un étudiant qui passe un examen. Demandez à tous ceux qui consacrent leur vie à traiter les anxiétés de performance des autres.
Et puis, prenons le contexte de l’apprentissage. De nombreuses personnes ont vécu des expériences stressantes à l’école ou décrites comme traumatiques dans d’autres environnements. Lors de mon premier recrutement dans une entreprise française de formation au management, un auteur célèbre et mon consultant senior, animait pour moi et d’autres nouvelles recrues, ce qu’il appelait une “formation à la vente”. Cela consistait en jeux de rôle filmés, entre nous, et avec des collègues jouant le rôle de clients potentiels. Pendant le visionnage il a précisé tout ce que nous avons mal fait. Pour moi cela à provoqué une énorme « crise d’incompétence » (1) dont je suis sortie avec la conviction que je ne serai jamais capable de vendre et de réussir dans ces métiers. Ce redoutable ressenti a bien duré plus de 6 mois.
J’anime un programme annuel certifiant pour des Consultants / Formateurs sur le modèle « Le plein pouvoir des mots ». Tous les ans quelques participants deviennent dingues et piquent une crise d’incompétence. Au cours des années, mon équipe de coachs et moi-même avons développé de nombreuses stratégies pour aider nos participants à gérer leurs émotions. Nous utilisions uniquement le sandwich à Feedback qui rend les choses pires.
Nous avons invité les personnes à utiliser les techniques PNL d’ancrage pour créer les états positifs. Nous les avons faits nommer l’expérience comme « crise d’incompétence » et réaliser qu’elle n’avait rien à voir avec leur vrai niveau de compétence. Nous avons développé une approche facilitante que les coachs pourraient utiliser pour aider les individus à traverser une émotion et revenir à un état émotif positif. J’ai même créé une nouvelle technique, basés sur de nombreux protocoles PNL, pour aider les individus à retrouver leurs stratégies de réussite et transformer leur expérience en apprentissage.
Mais j’étais toujours tracassée par le fait que certains éprouvaient ces états émotifs négatifs et dévastateurs quand ils apprenaient des sujets qui les passionnaient. Je savais qu’il devait y avoir une autre manière.
L’été dernier nous avons eu un groupe plus restreint qu’habituellement. J’ai décidé de changer la manière de donner un feedback pour voir si nous pouvions réduire le nombre de personnes ayant des crises d’incompétence et augmenter le nombre de personnes répondant aux normes de certification.
Voici la formule utilisée quand nous voulions qu’un participant modifie sa manière de faire :
1. Faire une suggestion.
2. Donner
2 raisons expliquant pourquoi nous pensons que c’est une bonne idée : l’une énonce ce que la suggestion réaliserait (Le schéma : Aller Vers du LAB Profile), et l’autre énonce le problème que la suggestion éviterait ou résoudrait (Le schéma : s’éloigner de du LAB Profile).
3. Faire un commentaire général positif à propos de la personne, de ses capacités, etc.
Nous avons décidé d’interdire toute critique, directe ou implicite. Si quelqu’un notait quelque chose qui n’allait pas, elle devait avant de parler, réfléchir à ce qu’elle voulait à la place et l’exprimer selon le modèle ci dessus.
Voici un exemple :
« Je pensais que quand tu interroges un client au sujet de ses besoins, envisages de répéter ses mots clés. Ceci te permettrait de t’assurer que ton client sait que tu as saisi ce qui lui est important et d’éviter également tous les malentendus. Vous reconnaissez déjà ce qui est important pour les gens et en indiquant par des mouvement de tête que ceci devrait être faisable. »
Cette simple formule est plus difficile que vous ne pourriez le penser. L’équipe de coachs a eu besoin de quelques jours pour utiliser la formule avec aisance et sans aucune critique. Nous avons également enseigné à nos participants l’utilisation de cette formule au moment des feed-backs mutuels, et à la place des critiques. Et nous avons jeté complètement le traditionnel sandwich à feed back (2)
Quels ont été les résultats ? Pour la première fois, tous les participants éligibles ont répondu aux normes de certification. Même si quelques personnes ont eu des difficultés avec certains exercices, personne n’a eu de crise d’incompétence.
C’était une expérience unique avec un petit groupe de personnes. Pas le truc de la recherche scientifique. Ce ne serait pas génial d’essayer la formule avec vos collègues, participants, famille et amis ? Vous pourriez découvrir si cela fonctionne et éviter probablement d’avoir des personnes sur la défensive quand vous voulez faire une suggestion. Elle demande un peu de pratique pour devenir naturelle mais après quelques essais, c’est beaucoup plus facile.
J’aimerais beaucoup savoir ce que vous découvrez.
Svp adressez moi un email à [email protected]
(1) La crise d’incompétence est une expression inventée par mon bon ami Gillian KEEFE. Elle se rapporte à un état émotif extrêmement négatif associé à la croyance qu’on est tout à fait incompétent. L’état n’a cependant rien à voir avec le vrai niveau de compétence.
(2) Le traditionnel Sandwich à feedback : Ce que j’ai aimé. Des points d’amélioration (classiquement exprimée avec ce que je n’ai pas aimé), un commentaire globalement positif. La plupart des personnes conviennent que ceci est devenu si habituel. Dès que quelqu’un exprime un compliment, elles se raidissent pour entendre la critique qui vient inévitablement après, ce qui ne leur permet pas d’intégrer le compliment.